Voici le texte du discours que j’ai présenté ce matin à Montréal devant un auditoire du Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec. — 20 mai 2014
Comment reprendre notre place au sein du Canada
Maxime Bernier, député de Beauce
Probablement comme la plupart d’entre vous, j’ai eu l’impression, en analysant les résultats de l’élection québécoise du 7 avril dernier, que le Québec vient d’atteindre un point tournant dans son histoire. Dans une campagne aux accents référendaires, le Parti québécois a subi sa pire défaite depuis 1970 et les deux partis fédéralistes ont obtenu les deux tiers des voix. Les Québécois ont clairement dit non, encore une fois, à la séparation du Québec et oui à la stabilité au sein du Canada.
Depuis l’élection, les médias ont consacré beaucoup d’espace à la question de savoir si le Parti québécois a un avenir et comment il pourra de nouveau convaincre les jeunes d’adhérer à son option. Compte tenu du résultat de l’élection, il y a une question bien plus pressante et pertinente à laquelle il faut répondre, et qui n’a pratiquement fait l’objet d’aucun débat : comment allons-nous, nous les Québécois, reprendre notre place au sein du Canada?
imagescae34dm8 En tant que politicien québécois sur la scène fédérale, c’est un débat qui me concerne bien sûr directement. Mais je m’adresse à vous aujourd’hui non pas en tant que membre du gouvernement canadien, mais en tant que Québécois qui se pose des questions sur la façon de faire avancer notre société.
Ça fait plusieurs décennies que les débats politiques au Québec sont monopolisés par la question nationale. C’est un débat légitime. Mais un débat qui tourne en rond.
Pendant ce temps, le Québec doit continuer de se développer. Nous avons d’importants problèmes à régler. Nos finances publiques sont dans un état pitoyable. Nous sommes l’une des régions les plus taxées et les moins riches en Amérique du Nord. Nous devons massivement investir dans des infrastructures en décrépitude. Et en tant que société qui vieillit rapidement, nous avons aussi des défis particuliers à relever en ce qui a trait à l’intégration des immigrants et la solvabilité de nos programmes sociaux.
Si nous voulons réussir à relever ces défis, il nous faut des gouvernements, à Québec et à Ottawa, qui se concentrent sur les problèmes à régler au lieu de gérer des psychodrames identitaires et des crises référendaires ou constitutionnelles qui créent de l’incertitude. Il nous faut donc de la stabilité, et pas seulement pour les quatre prochaines années, mais à plus long terme.
Je vois trois grands changements d’attitude pour assurer cette stabilité, qui ont tous à voir avec le fait de reprendre notre place au sein du Canada.
En premier lieu : se réconcilier avec ce que nous sommes, nous les Québécois.
Les péquistes ont répété pendant la campagne électorale qu’il faut défendre notre identité et nos valeurs. Et ils l’ont fait en jouant sur la peur de l’autre : la peur de l’immigrant, la peur de l’anglais, la peur du reste du Canada.
En réalité, ils n’acceptent pas ce qu’est le Québec d’aujourd’hui. Leur obsession a toujours été de le changer. Ils ne veulent pas défendre NOTRE identité et NOS valeurs. Ils veulent défendre LEUR conception très restreinte de ce que DEVRAIENT être notre identité et nos valeurs.
Les Québécois constituent une nation, notre gouvernement l’a officiellement reconnu. Mais cette nation est pluraliste.
Pour moi, se réconcilier avec la réalité pluraliste du Québec, c’est reconnaître qu’il y a plusieurs identités au Québec et que chacune d’elle est légitime. Ceux qui s’identifient comme Québécois francophones ne sont pas les seuls « vrais » Québécois.
Cette affirmation pourra sembler banale et évidente pour plusieurs d’entre vous. Mais je crois qu’elle ne l’est pas du tout. Depuis un demi-siècle, il y a une élite nationaliste au Québec qui tente de délégitimer toutes les identités autres que l’identité québécoise francophone définie de façon exclusive.
En particulier, la rectitude politique nationaliste exige qu’on dise que le Québec est une société uniquement francophone, que le français est la seule langue qui définit l’identité québécoise. Alors que c’est tout simplement faux.
L’anglais n’est pas la langue d’une minorité étrangère qu’on doit tolérer parce que nous respectons les droits fondamentaux de la personne. Une importante population anglophone vit au Québec et ce, depuis très longtemps. À moins de croire que seuls les descendants des colons français sont de « vrais » Québécois, il faut se rendre à l’évidence que l’anglais fait aussi partie de l’identité québécoise depuis un quart de millénaire.
Ne peut-on pas reconnaître cela clairement une fois pour toute? Reconnaître que l’anglais fait partie de nous, de notre histoire, de notre culture, de notre identité. Reconnaître que l’anglais n’est pas une langue étrangère mais est aussi une langue québécoise. Et en conséquence, cesser de chercher toujours à restreindre son usage et sa légitimité par des lois coercitives.
Ça n’empêche pas de considérer que le français est au cœur de notre identité et que sans le français, le Québec n’existerait pas. Ça n’empêche pas non plus de rester vigilant pour protéger et promouvoir le français, qui demeurera toujours une langue minoritaire en Amérique du Nord. Mais ça nous permettrait de nous réconcilier avec une partie de nous-mêmes et de mettre fin à un tas de conflits inutiles et d’animosité entre les communautés qui composent le Québec.
On peut bien déplorer autant qu’on veut la défaite des Plaines d’Abraham et la conquête britannique. Mais il va falloir finir par accepter le fait que cela s’est passé il y a plus de 250 ans. Et que le Québec d’aujourd’hui est celui qui a été façonné pendant ces 250 ans, ce n’est pas une sorte de Nouvelle-France corrompue par la présence anglo-canadienne et à laquelle il faudrait redonner sa pureté d’antan.
En plus de l’héritage français, la langue anglaise, les institutions et les symboles britanniques, puis canadiens, ont façonné ce que nous sommes. Notre identité, ça inclut tout cela. Exactement comme le fait français fait partie de l’identité de tous les Canadiens.
Les Québécois ont choisi de continuer de vivre au sein du Canada. Il faudrait en tirer les conséquences qui s’imposent sur le plan de notre identité. En commençant par accepter les aspects de notre histoire et de notre identité qui nous relient au Canada.
Il faut remettre en question la définition étroite de notre identité que l’élite nationaliste cherche à imposer. Et apprendre à voir les autres Canadiens comme des concitoyens et des partenaires.
Le deuxième grand changement d’attitude que je perçois comme nécessaire pour reprendre notre place au sein du Canada, c’est celui qui a trait aux avantages du fédéralisme.
Dans les années 1970, Robert Bourassa a inventé le concept de « fédéralisme rentable » pour répliquer au discours indépendantiste. C’est un très mauvais concept pour défendre le fédéralisme. Dans la tête de beaucoup de Québécois, la rentabilité du fédéralisme, c’est la quantité d’argent qu’on réussit à soutirer au reste du Canada.
Autant les gouvernements fédéralistes que les gouvernements séparatistes du Québec se sont servis de la menace de la séparation pour aller chercher plus d’argent. Vous vous souvenez de la Commission Bélanger-Campeau ? Du débat sur le déséquilibre fiscal ? C’est toujours le même discours, la même politique de quémandage. Même si les montants en provenance d’Ottawa augmentent, la réaction est que ce n’est jamais assez. On en veut toujours plus, sinon c’est la preuve que le fédéralisme n’est pas rentable.
Le Québec recevra cette année 9,3 milliards de dollars en paiements de péréquation. C’est plus de la moitié des 16,7 milliards du programme. Ça, c’est de l’argent qui provient des provinces plus riches comme l’Alberta, la Colombie-Britannique et la Saskatchewan.
C’est vrai que d’autres provinces, comme le Manitoba et les trois provinces maritimes, reçoivent encore plus de péréquation per capita que le Québec et sont donc encore plus dépendantes d’Ottawa. Mais ce n’est pas une excuse. En tant que Québécois, je ne suis pas très fier de voir que nous sommes une province pauvre qui reçoit de la péréquation.
Et si nous sommes plus pauvres, ce n’est pas la faute du reste du Canada, comme le prétendent les indépendantistes. Il devrait être assez évident qu’un interventionnisme étatique effréné ne conduit pas à la prospérité. Si c’était le cas, le Québec serait la région la plus riche en Amérique du Nord au lieu d’être l’une des plus pauvres.
Si nous sommes plus pauvres, c’est à cause de mauvaises politiques économiques qui rendent l’économie du Québec moins productive; c’est parce que le premier réflexe d’une bonne partie de notre classe politique est d’aller constamment quêter plus d’argent à Ottawa au lieu de prendre les décisions qui s’imposent pour régler nos problèmes.
Il faut cesser de voir notre appartenance à ce pays de façon égoïste, uniquement comme un avantage financier pour nous. Prendre notre place au sein du Canada, ça implique de s’engager de façon responsable avec nos partenaires canadiens pour mieux faire fonctionner ce pays pour TOUTES ses régions et TOUS ses citoyens.
Enfin, le troisième grand changement d’attitude qui m’apparaît crucial touche la réforme du fédéralisme.
C’est un truisme depuis plus d’une génération qu’il n’y a qu’une position constitutionnelle qui pourrait rallier une large majorité de Québécois : un Québec plus autonome dans un Canada uni. Un fédéralisme le plus décentralisé possible et respectueux des champs de compétence provinciale.
Mais cette position autonomiste a toujours été très mal défendue. La raison est que depuis 50 ans, les gouvernements québécois successifs l’ont affaiblie en faisant constamment des demandes irréalistes.
Mettez-vous dans la peau des Canadiens des autres provinces. Depuis 50 ans, ils sont confrontés à deux types de demandes de la part des Québécois. D’une part, celles des indépendantistes qui veulent se séparer mais en gardant une association, une monnaie commune, un passeport commun, etc. Bref, tous les avantages d’une appartenance au Canada, mais en étant en même temps indépendant.
D’autre part, les fédéralistes n’ont pas arrêté d’exiger des privilèges particuliers. Essentiellement, ils n’ont pas cessé de dire au reste du pays : il n’y a que nous qui sommes spéciaux et nous devrions avoir plus de pouvoirs et d’influence que vous tous.
On a exigé de nos partenaires canadiens, entre autres, qu’ils reconnaissent le Québec comme société distincte et que cette distinction serve à interpréter la Constitution ; que le Québec puisse avoir plus de sièges au Parlement que son poids démographique le justifie ; que seul le Québec ait un droit de veto sur les changements constitutionnels. Et on leur demandait tout ça avec le couteau sur la gorge: dites oui, sinon on se sépare. Tous les partis politiques ont participé à cette surenchère.
Personne dans le reste du pays, ni ici d’ailleurs, ne veut, pour le moment, rouvrir la Constitution. Si nous voulons avancer vers l’objectif d’un Québec plus autonome et plus prospère, il faut donc changer complètement d’approche. En fait, il n’est aucunement nécessaire de modifier la Constitution pour réformer le fédéralisme : il suffit de la respecter. Respecter l’intention des Pères de la Confédération pour une fédération décentralisée et des provinces autonomes dans leurs champs de compétence.
Imaginez le poids et l’influence politiques que les Québécois auraient s’ils s’unissaient derrière cette vision autonomiste qui rallie une large majorité chez nous. Imaginez le poids et l’influence politiques que les Québécois auraient s’ils s’alliaient aux autres Canadiens qui désirent eux aussi un Canada moins centralisé et moins étatisé.
Dans les années 1990, le Parti réformiste, l’un des deux partis à l’origine de l’actuel Parti conservateur du Canada, proposait une décentralisation très importante du fédéralisme. Ce n’est pas pour rien si je défends une telle vision au sein du Parti conservateur.
Les Québécois doivent aussi prendre leur place dans les partis politiques fédéraux s’ils veulent faire avancer leurs intérêts et leur vision du pays.
Le Parti libéral du Canada est depuis des décennies le parti de la centralisation et de l’ingérence dans les champs de compétence des provinces. Encore aujourd’hui, son chef Justin Trudeau propose que le gouvernement fédéral s’ingère dans le domaine de l’éducation, pourtant une compétence exclusive des provinces selon notre Constitution.
Le NPD, lui, est un parti socialiste, qui veut tout centraliser pour intervenir partout. Il n’est pas du tout dans l’intérêt des Québécois d’avoir un gros État interventionniste à Ottawa qui limite notre liberté individuelle, parce que cela va nous appauvrir, comme tous les autres Canadiens.
Nous, les conservateurs, nous offrons une autre vision : celle d’un État plus modeste et moins interventionniste à Ottawa, un État respectueux de l’autonomie des provinces. Le Parti conservateur du Canada est le véhicule naturel pour faire avancer la vision du fédéralisme la plus largement partagé au Québec.
Depuis un demi-siècle, l’histoire politique du Québec au sein du Canada se résume à une suite d’échecs constitutionnels et d’échecs référendaires. Je crois qu’une des principales causes de ces échecs tient à une attitude malsaine et irréaliste. Il faut changer d’attitude.
Nous avons choisi de demeurer canadiens. Eh bien, prenons notre place au sein du Canada!
- Prenons-là en nous réconciliant avec notre histoire et notre identité pluraliste;
- Prenons-là en cessant de quémander toujours plus d’argent à Ottawa et en réglant nos problèmes nous-mêmes;
- Prenons-là en nous alliant avec d’autres Canadiens qui souhaitent une fédération moins centralisée;
- Prenons-là et le Québec aura alors une chance de s’épanouir pleinement et de prospérer au sein de la fédération canadienne.
Merci.
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