J’ai fait une présentation aujourd’hui sur le thème du marketing des idées conservatrices au Québec lors de la conférence annuelle du Centre Manning pour le renforcement de la démocratie à Ottawa. Voici une version française de mon allocution qui a été donnée en anglais. — 12 mars 2010
Comment vendre les idées conservatrices au Québec
Maxime Bernier, député de Beauce
Manning Networking Conference 2010
Ottawa, 12 mars 2010
Bonjour à tous,
Merci Michel pour ce gentil mot de présentation. Je voudrais également remercier Preston Manning pour m’avoir invité à cette conférence. M. Manning a réalisé un travail remarquable pour faire avancer les idées conservatrices dans ce pays. Et l’événement d’aujourd’hui est l’endroit idéal pour le sujet que je vais aborder.
Ce dont je veux vous parler aujourd’hui, c’est comment vendre les idées conservatrices au Québec. Je suis heureux de voir autant de gens dans cette salle qui n’ont pas perdu espoir dans cette entreprise ! C’est malheureux, mais beaucoup de conservateurs à l’extérieur du Québec semblent croire que le conservatisme est une cause perdue chez nous. Ils imaginent que les Québécois sont tous à gauche et adorent les gros gouvernements interventionnistes.
Si c’était vrai, je suppose que je ne serais pas ici aujourd’hui. J’ai gagné ma circonscription avec les plus grosses majorités au Québec lors des deux dernières élections. Et tout le monde sait que je suis un conservateur !
Il vrai que la société québécoise a des aspects particuliers. L’un d’eux est bien sûr le débat entre séparatistes et fédéralistes, qui a plus ou moins dominé toutes les autres questions politiques depuis maintenant plusieurs décennies.
Un autre est le fait que les intellectuels québécois – les écrivains, artistes, professeurs et journalistes – ont été à gauche dans une proportion plus grande que dans d’autres sociétés depuis la Révolution tranquille des années 1960. Cela change graduellement depuis quelques années. Mais pendant longtemps, il était mal vu dans la bonne société de dire que l’État devrait être plus petit. C’est comme si on s’attaquait à l’identité québécoise.
Depuis 50 ans, les élites du Québec nous disent qu’un gouvernement interventionniste n’est pas uniquement une bonne chose pour les raisons égalitaristes et collectivistes habituelles qui sont populaires un peu partout. C’est également nécessaire pour protéger l’identité québécoise. Voilà une combinaison d’idées avec un pouvoir d’attraction très fort. Le nationalisme renforce l’interventionnisme, et l’interventionnisme renforce le nationalisme.
D’ailleurs, on observe la même dynamique dans le reste du pays. Le nationalisme canadien vient renforcer la volonté d’imposer un protectionnisme culturel, une centralisation des pouvoirs et un gros gouvernement interventionniste à Ottawa. C’est la vision du pays que partagent le Parti libéral et le NPD. Il existe toutefois une plus forte opposition à cette vision au Canada anglais qu’au Québec, dans les médias et dans d’autres milieux.
Il est ironique de constater cette situation aujourd’hui, parce qu’avant la Révolution tranquille, le Canada français était une société très conservatrice. Tout le monde sait qu’elle était conservatrice dans un sens social et religieux. Mais peu de gens savent ou se souviennent qu’elle était aussi conservatrice dans le sens que j’utilise aujourd’hui, c’est-à-dire en termes de liberté individuelle, de libre marché et de gouvernement de taille modeste.
Le Québec avait en fait l’un des gouvernements les moins interventionnistes en Amérique du Nord à la fin du 19e et au début du 20e siècle. Il avait alors une économie très prospère et qui croissait rapidement. Au contraire de ce que plusieurs croient, ce n’était pas une société sous-développée et arriérée, mais plutôt l’une des plus riches au monde, avec une classe moyenne grandissante. Montréal était le centre industriel et financier du pays.
On retrouvait alors une forte majorité politique en faveur du libre marché et d’un État limité. Les modes socialistes et interventionnistes qui ont balayé les États-Unis durant la Grande Dépression, et le Canada anglais plus tard, avaient très peu d’appui au Québec à l’époque.
Les gens qui appuyaient ces principes de gouvernement limité ne sont pas soudainement disparus en 1960. Mais leur légitimité intellectuelle et politique a été balayée par une très forte vague de nationalisme et d’interventionnisme étatique. Ils ont une influence marginale sur la politique depuis cette période.
Ces principes sont toutefois en train de revenir dans les débats politiques. On peut s’en convaincre en voyant le succès de l’Institut économique de Montréal, où j’ai brièvement travaillé comme vice-président il y a cinq ans, avant de me lancer en politique. Il existe une communauté très active de libertariens sur le Web au Québec. Plusieurs groupes et individus qui appuient ces idées sont maintenant entendus dans les débats publics et ne sont plus considérés comme marginaux.
On pourrait me répliquer que l’échec de l’Action démocratique du Québec – l’ADQ – et de son ancien chef Mario Dumont est la preuve que les Québécois n’appuieront pas un parti qui propose de réduire la taille de l’État. Je tire des conclusions différentes de cette expérience.
Depuis son lancement il y a plus d’une quinzaine d’années, l’ADQ a toujours eu un programme assez confus. Ce parti a été autonomiste la plupart du temps, mais lors du référendum de 1995 sur l’indépendance, il a appuyé le camp du Oui.
Il n’a jamais été non plus en faveur d’un gouvernement limité de manière cohérente. À certaines époques, il proposait de réduire la taille de la bureaucratie, de rembourser la dette, de mettre en place un taux unique d’imposition et d’ouvrir le système de santé à des fournisseurs privés. Il m’a semblé que lorsqu’il se concentrait sur ces questions, il augmentait son appui dans les sondages et obtenait un pourcentage du vote plus élevé.
À d’autres moments, l’ADQ mettait plutôt l’accent sur des politiques plus interventionnistes. Son programme proposait de nouveaux programmes sociaux en faveur des familles et une planification bureaucratique des investissements à l’échelle du Québec, et s’opposait à des réductions d’impôt. Il était très difficile de le distinguer des autres partis.
L’ADQ a subi une énorme défaite à la dernière élection en obtenant seulement sept sièges. Auparavant, elle était l’opposition officielle avec 41 sièges. Une raison majeure de cette défaite est le fait que 700 000 Québécois qui avait voté pour l’ADQ la fois d’avant n’ont pas trouvé de bonnes raisons pour voter pour le même parti cette fois-là. Ils n’ont pas non plus voté pour d’autres partis. Seulement 57% des électeurs ont pris la peine de voter, ce qui a constitué le plus bas taux de participation depuis près d’un siècle. Je pense que ces gens étaient des conservateurs désabusés qui ont conclu qu’il n’avait plus de port d’attache politique.
Il m’apparaît tout à fait clair qu’il existe un appui au Québec pour des solutions qui visent plus de libre marché et moins d’interventionnisme étatique, tout comme dans d’autres sociétés. Cette niche politique n’a toutefois jamais été exploitée de manière systématique. On retrouve aussi un fort appui en faveur d’une décentralisation de la fédération canadienne. La décentralisation est un principe conservateur, mais au Québec, c’est un principe qui trouve également un écho pour des raisons nationalistes traditionnelles.
L’hôte de cette conférence, M. Manning, a fondé il y a plus de deux décennies un parti qui proposait justement cela : des mesures spécifiques pour décentraliser la fédération et réduire la taille du gouvernement central. Comme vous le savez, il a connu un fort succès dans l’Ouest. Notre premier ministre, et plusieurs de mes collègues du caucus, sont d’anciens réformistes.
J’ai récemment eu l’occasion de lire le Livre bleu, qui était le programme du Parti réformiste, ainsi que d’autres documents du parti à cette époque. Ils contenaient des propositions d’une pertinence remarquable pour s’attaquer aux enjeux de politiques publiques canadiens. Certaines de ces prises de position seraient considérées comme très courageuses aujourd’hui. M. Manning et les réformistes n’avaient pas peur de remettre en question les idées reçues et de soulever des questions difficiles. J’ai trouvé une citation de M. Manning dans ces documents que j’aime tout particulièrement : « Un dollar qu’on laisse dans les mains des consommateurs, des investisseurs, des entrepreneurs ou des contribuables est plus productif que le même dollar dans les mains d’un bureaucrate, d’un lobbyiste ou d’un politicien. »
Le Parti réformiste est devenu l’opposition officielle en 1997. Mais il n’a jamais réussi à faire de percée au Québec. Beaucoup d’électeurs qui avaient de la sympathie pour ses positions en Ontario et dans les provinces atlantiques n’ont jamais voté pour lui parce qu’ils le voyaient comme un parti régional de l’Ouest qui ne réussirait jamais à s’établir au Québec.
Je ne suivais pas de très près ce qui se passait dans ce parti à l’époque et il m’est difficile de mettre le doigt exactement sur la source du problème. Mais je peux vous dire une chose : pratiquement tout le monde au Québec croyait à l’époque que ce parti était hostile envers le Québec et qu’il n’avait rien à leur offrir. Que cette perception ait été justifiée ou non, on pensait que le parti était anti-français. La proposition en faveur d’un Sénat « Triple-E » (élu, avec une représentation égale pour chaque province, et efficace) était considérée comme une façon de réduire l’influence du Québec au niveau de celle de l’Île-du-Prince-Édouard. Du point de vue du Québec, les réformistes apparaissaient comme des gens en colère contre le pouvoir excessif de ce qu’ils appelaient le « Canada central », c’est-à-dire l’Ontario et le Québec.
J’ai beaucoup de respect et d’admiration pour ce que M. Manning a accompli, mais malheureusement, il n’a jamais réussi à s’exprimer en français de façon à pouvoir s’adresser directement aux Québécois pour changer ces perceptions négatives. Le parti ne comptait que sur une poignée de supporters au Québec, et aucune figure connue, pour expliquer en quoi les propositions réformistes auraient pu être à l’avantage du Québec.
C’est dommage parce que selon moi, le Parti réformiste aurait pu accéder au pouvoir s’il avait atténué ces aspects qui suscitaient la division, et s’il avait plutôt mis l’accent sur les éléments de son programme qui pouvaient être attrayants pour les conservateurs de toutes les régions du pays, soit ses propositions en faveur d’un État fédéral moins interventionniste et plus décentralisé. Et s’il l’avait fait dans les deux langues officielles.
Ça ne suffit pas de proposer de bonnes politiques. Il faut aussi les vendre d’une façon qui tient compte des particularités et de la sensibilité des Québécois. Sinon, vous pouvez facilement être accusé de nier le caractère spécifique du Québec. Que ça plaise ou non, c’est un aspect incontournable de la culture politique du Québec depuis deux siècles, et ce n’est pas près de changer. Pour vendre des idées conservatrices au Québec, il faut tenir compte de cela.
C’est un peu comme les campagnes de publicité : bien souvent, pour vendre exactement le même produit, ces campagnes utilisent un thème dans les régions anglophones du pays, et un autre en français. Les entreprises considèrent qu’il est nécessaire d’avoir deux stratégies de marketing différentes pour rejoindre ces deux marchés différents.
Il est bien évident que chaque province a ses spécificités, ce que je ne nie absolument pas. Mais il n’y a qu’au Québec qu’on retrouve un sentiment largement répandu de faire partie d’une communauté nationale distincte. Une communauté nationale qui est également une minorité au sein du Canada et une minuscule minorité sur le continent. Notre gouvernement a reconnu cette réalité en adoptant la résolution sur la nation québécoise.
Il y a beaucoup de gens au Québec pour qui tout cela n’a aucune importance et qui ne montreront jamais aucune ouverture envers les idées conservatrices, quelle que soit la façon dont elles seront présentées. Certains souhaitent l’indépendance du Québec, point à la ligne. Ils veulent un gros gouvernement à Québec et pas de gouvernement du tout à Ottawa.
D’autres sont des libéraux trudeauistes, qui pensent que le Canada deviendra plus uni s’il est plus centralisé et uniformisé et si Ottawa a plus de pouvoir d’imposer sa volonté à l’ensemble du pays. Ceux-là veulent un gros gouvernement à Ottawa.
Les conservateurs appuient au contraire – ou en tout cas devraient appuyer, selon moi – le principe de subsidiarité. Ça veut dire que toute question devrait être traitée par l’autorité compétente la plus petite ou la plus basse dans la hiérarchie, celle qui est le plus près des citoyens. De cette façon, chaque province, chaque région, chaque communauté, peut se développer selon sa propre personnalité. Cela permet aux particularités locales de s’exprimer, tout en prévenant les conflits. De cette façon, aucune région très peuplée ou influente, ou coalition de régions, ne peut imposer sa volonté aux autres.
Nous savons bien que dans une fédération aussi grande et diverse que le Canada, la façon la plus rapide de provoquer du ressentiment et de la désunion, c’est d’avoir un gros gouvernement central qui intervient dans les questions locales. C’est pendant l’ère Trudeau que le séparatisme au Québec, et le mécontentement dans l’Ouest, ont cru le plus rapidement, en réaction aux ingérences du gouvernement fédéral.
Jacques Parizeau a déjà dit que Pierre Trudeau et lui s’entendaient sur presque tout, sauf sur l’endroit où placer la capitale nationale. Ils croyaient tous les deux dans un État interventionniste. Le nationalisme de gauche au Québec et le nationalisme centralisateur de gauche canadien se nourrissent l’un de l’autre.
Nous n’avons rien à offrir à ces deux groupes. Comme M. Manning avait l’habitude de le dire, les conservateurs offrent une troisième voie : un État plus modeste, moins interventionniste à Ottawa, qui n’agit que dans ses champs de compétence. Il y a beaucoup de gens au Québec qui en ont marre des deux autres options et qui aspirent à cette troisième voie.
Les idées conservatrices n’ont pas besoin d’être atténuées pour recevoir l’adhésion d’une portion substantielle des électeurs québécois. Au contraire, comme je l’ai dit devant un auditoire de Calgary récemment, je crois que pour réussir, nous devons être cohérents et défendre nos principes ouvertement, avec passion et avec conviction.
Ce qu’il faut pour vendre avec succès les solutions conservatrices au Québec, c’est une attention particulière envers la culture politique spécifique du Québec, tout comme on les adapte pour les rendre attrayantes à un auditoire du Canada anglais. Elles doivent être conçues pour résoudre les problèmes de tout le Canada, y compris le Québec, et non en tant que réaction d’une région du pays contre une autre. Si nous réussissons à faire cela, le conservatisme a un brillant avenir devant lui dans ce pays.
Merci.
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