J’ai fait cette présentation devant 450 participants à la première conférence du Réseau Liberté-Québec aujourd’hui à Québec. — 23 octobre 2010
Redéfinir le nationalisme
Maxime Bernier
Québec, 23 octobre 2010
Je voudrais tout d’abord féliciter les organisateurs du Réseau Liberté-Québec pour leur initiative et vous remercier, vous tous, pour votre présence. C’est vraiment très impressionnant de voir tant de gens rassemblés pour discuter de liberté ! Personne ne pourra dorénavant dire que les Québécois sont foncièrement en faveur d’un gouvernement qui intervient constamment dans notre vie de tous les jours!
La liberté et la responsabilité individuelles sont les valeurs fondamentales qui ont motivé mon engagement politique. Ça fait trop longtemps qu’elles sont considérées comme des valeurs rétrogrades par nos élites. Il est grand temps que des groupes comme le vôtre les mettent de l’avant dans les débats publics.
On nous a demandé pour ce panel de « redéfinir le nationalisme » . Je dirais plutôt qu’il faut rejeter l’une des deux définitions courantes du nationalisme et mettre l’accent sur l’autre.
Le nationalisme est une force négative lorsqu’il fait la promotion de l’intolérance et de la division, lorsqu’il cherche à exacerber ce qui nous distingue des autres, à imposer des caractéristiques de la majorité à la minorité. Dans l’histoire du monde, ce type de nationalisme a été la source de nombreux conflits et guerres.
Le nationalisme, c’est aussi l’expression d’un sentiment d’appartenance à une communauté nationale. Il devient une force positive lorsqu’il sert à appuyer un comportement d’entraide et de solidarité volontaire, lorsqu’il protège une différence, lorsqu’il défend l’autonomie locale contre les pressions uniformisatrices d’entités plus larges.
Si nous sommes réunis ici aujourd’hui pour discuter de cette question, c’est pour une raison bien simple : c’est parce qu’il y a 250 ans, la Nouvelle-France a été conquise par l’Angleterre. Les sociétés française et anglaise issues de cet événement ont, depuis, connu plusieurs régimes politiques.
En tant que Québécois, nous avons le choix maintenant entre trois projets nationaux. L’un s’appuie sur une vision exclusive du nationalisme québécois et mène à l’indépendance du Québec ; un autre s’appuie sur un nationalisme canadien dominant et fait la promotion d’un fédéralisme centralisé.
Ces deux options ne reçoivent l’assentiment que d’une minorité de Québécois. Et pourtant ce sont les deux principaux choix qui nous ont été proposés depuis des décennies.
À ces deux options s’en ajoute une troisième, qui défend une coexistence plus équilibrée entre nos deux identités nationales. C’est celle d’un Québec plus autonome dans un Canada uni. Cette option n’a jamais réussi à s’imposer, même si elle est appuyée par une forte majorité de Québécois.
Pourquoi ? Pourquoi les deux visions nationales les plus extrêmes, celles des indépendantistes d’un côté et des fédéralistes centralisateurs de l’autre, celles de René Lévesque et de Pierre Elliott Trudeau, ont-elles dominé nos débats politiques depuis cinquante ans ?
À mon avis, pour comprendre ce qui s’est passé, il faut replacer ce débat dans le contexte plus large de l’évolution politique du 20e siècle.
Nous avons pu observer partout une croissance importante des gouvernements. Le rôle, la taille et les pouvoirs de ceux-ci ont radicalement augmenté. La portion de l’économie dans son ensemble contrôlée par les gouvernements est passée de 10 % il y a un siècle à plus de 40 % aujourd’hui dans les principaux pays du monde occidental.
Chez nous, le nationalisme canadien a été renforcé par une vision centralisatrice et interventionniste de l’État fédéral. Après la Seconde Guerre mondiale, les politiciens fédéraux ont voulu avoir leur mot à dire sur toutes sortes de questions sociales, même si ces questions relèvent des provinces selon notre Constitution.
Le Canada avait toujours eu un État relativement modeste, exactement comme les États-Unis. Pour se démarquer des Américains, les nationalistes canadiens ont alors inventé le mythe du Canada social-démocrate, avec son système de santé public, ses programmes sociaux très développés, ses normes nationales et son protectionnisme culturel.
Aujourd’hui, le gouvernement fédéral intervient massivement dans les champs de compétence provinciale, en particulier en santé et en éducation. Sans le nationalisme québécois pour faire contrepoids, le Canada serait sans doute aujourd’hui une fédération encore plus centralisée avec un État encore plus interventionniste.
Au Québec, à partir de la Révolution tranquille, les nationalistes québécois ont fait exactement la même chose que les nationalistes canadiens. Avant 1960, le Québec avait l’un des gouvernements les moins interventionnistes en Amérique du Nord. Mais après 1960, on a élaboré toute une mythologie autour du soi-disant » modèle québécois « , qui n’est qu’un modèle social-démocrate comme on en retrouve partout dans le monde.
C’est quoi un modèle social-démocrate ? C’est l’ex-président américain Ronald Reagan qui l’a selon moi le mieux décrit : si quelque chose bouge, taxez-le ; si ça continue de bouger, réglementez-le ; et si ça arrête de bouger, subventionnez-le !
Voyez l’absurdité de la situation. Les nationalistes canadiens nous disent que l’identité canadienne est fondée sur un État plus gros et interventionniste que celui des Américains. Les nationalistes québécois nous disent que l’identité québécoise est fondée sur un État plus gros et plus interventionniste qu’ailleurs en Amérique du Nord. Dans les deux cas, c’était complètement faux il y a 50 ans. Mais les nationalistes nous ont inventé des identités qui correspondent à leur idéologie étatiste.
Et le plus drôle c’est qu’avec un gouvernement qui veut nationaliser la santé et qui grossit et endette l’État américain à une vitesse vertigineuse, les rôles sont en voie d’être inversés. L’État américain va bientôt être plus gros que l’État canadien. Imaginez, les Américains sont en train de nous voler notre identité !
Ça fait 50 ans que ces deux nationalismes s’affrontent. Jacques Parizeau a déjà dit que Pierre Trudeau et lui s’entendaient sur presque tout, sauf sur l’endroit où placer la capitale nationale. Ces deux nationalismes se renforcent aussi l’un l’autre. C’est pendant l’ère Trudeau que le séparatisme au Québec s’est développé le plus rapidement, en réaction aux ingérences du gouvernement fédéral.
Coincée entre ces deux options extrêmes, la vision d’un Québec plus autonome dans un Canada uni n’a jamais pu mener à des changements.
Nous avons pourtant une Constitution qui laisse beaucoup d’autonomie aux provinces. Si l’on respectait la division des pouvoirs définie dans notre Constitution, le Canada serait beaucoup moins centralisé qu’il ne l’est aujourd’hui. Et on pourrait régler la majeure partie des conflits entre les deux paliers de gouvernement.
C’est ce que j’ai défendu dans un discours à Toronto la semaine dernière. J’ai suggéré qu’Ottawa mette fin à son pseudo pouvoir de dépenser, se retire complètement des champs de compétence provinciale et transfère des points d’impôt aux provinces. Pour atteindre cet objectif, Il n’est pas nécessaire de relancer les négociations constitutionnelles ni de changer la Constitution. Ce qu’il faut, c’est simplement respecter notre Constitution. C’est une position très forte sur le plan moral.
Une Constitution n’est pas un arrangement flexible qui évolue d’une décennie à une autre selon les circonstances politiques du moment. Lorsque nous tolérons des violations à la Constitution, ce sont les fondements mêmes de notre système politique qui sont attaqués. Demander à nos partenaires à Ottawa et dans les autres provinces qu’on cesse de violer notre Constitution, ça devrait être la position la plus facile à défendre.
En fait, cette position autonomiste a toujours été très mal défendue. La raison est que depuis 50 ans, les gouvernements québécois successifs l’ont affaiblie en demandant toujours davantage.
Parmi les revendications du Québec, il y a celles qui exigent des privilèges particuliers. Essentiellement, nous disons au reste du pays : il n’y a que nous qui sommes spéciaux et nous devrions avoir plus de pouvoirs et d’influence que vous tous.
On a exigé de nos partenaires canadiens, entre autres, qu’ils reconnaissent le Québec comme société distincte et que cette distinction serve à interpréter la Constitution ; que le Québec puisse avoir plus de sièges au Parlement que son poids démographique le justifie ; que seul le Québec ait un droit de veto sur les changements constitutionnels. Et on leur demandait tout ça avec le couteau sur la gorge: dites oui, sinon on se sépare.
Mettez-vous à leur place : est-ce qu’ils n’ont pas eu un peu raison d’être réticents ?
L’autre raison de l’échec de l’option autonomiste vient de ce mariage entre le nationalisme et la vision étatiste de la société dont je parlais plus tôt. Ces revendications servaient d’abord à nourrir notre gros État québécois, à lui donner encore plus de « leviers » pour intervenir davantage dans notre vie de tous les jours et brimer notre liberté.
Tous les partis politiques ont participé à cette surenchère, y compris l’Action démocratique du Québec, en exigeant toute une série de nouveaux pouvoirs, en plus de ceux que la Constitution nous accorde. Ce serait comme essayer de rajouter un étage à un édifice alors que ses fondations sont instables.
De plus, les revendications constitutionnelles du Québec s’accompagnent toujours de demandes pour avoir plus d’argent, plus de transferts, plus de péréquation, encore une fois pour nourrir notre gros État. Les Québécois disent vouloir être plus autonomes et même indépendants, alors que tout ce que nous avons réussi à faire jusqu’à maintenant, c’est devenir de plus en plus dépendants financièrement du reste du Canada.
L’autorité morale que pourraient avoir des demandes fondées sur le respect de la Constitution a toujours été diluée par une série de revendications irréalistes pour grossir les pouvoirs et les finances de l’État québécois. Comment se surprendre si ça fait cinquante ans qu’on tourne en rond ?
Après deux référendums perdus, le Québec n’a plus aucun pouvoir de négociation. Une majorité de Québécois ne veulent pas de la séparation. Et personne dans le reste du pays, ni ici d’ailleurs, ne veut, pour le moment, rouvrir la Constitution. Si nous voulons avancer vers l’objectif d’un Québec plus autonome et plus prospère, il faut donc changer complètement d’approche.
Tout d’abord, le Québec doit abandonner ses revendications irréalistes. Si l’on essaie d’obtenir non seulement le respect de la Constitution, mais aussi des pouvoirs additionnels, un statut spécial, un droit de veto, plus d’argent du fédéral, plus de péréquation, on n’obtiendra rien, comme l’histoire nous l’a prouvé. Concentrons-nous sur l’essentiel, c’est-à-dire le respect de l’entente de 1867, et nous aurons de bien meilleures chances de réussir. On verra ensuite si d’autres changements sont nécessaires.
De toute façon, la société québécoise n’a pas besoin de nouveaux pouvoirs ni d’une reconnaissance spéciale pour se développer. Est-ce que c’est le manque de pouvoir de nos politiciens à Québec qui a fait de nous l’une des sociétés les plus endettées au monde ? Est-ce que c’est une clause constitutionnelle qui va garantir l’épanouissement de notre culture et la survie du français ?
Le dynamisme d’une société se mesure non pas par la quantité de lois et règlements, de sociétés d’État et de programmes, que crée son gouvernement ; mais plutôt par l’esprit d’entreprise de ses membres, par leur créativité et leur capacité de se prendre en main.
Pour avancer, il faudrait de plus s’appuyer sur les côtés positifs du nationalisme et rejeter ses aspects les plus extrêmes, les plus intolérants, les plus porteurs de division. Les Québécois ayant choisi de continuer de vivre au sein du Canada, ils doivent apprendre à voir les autres Canadiens comme des concitoyens et des partenaires.
Il y a beaucoup de Canadiens dans le reste du pays qui partagent cette vision d’une société moins étatisée, d’un fédéralisme moins centralisé. Il faut s’allier à eux.
Les partisans d’un gros gouvernement sont au pouvoir depuis cinquante ans. Ils nous ont conduits dans un cul-de-sac économique et constitutionnel. Ils menacent chaque jour davantage notre prospérité et notre liberté.
Il est plus que temps que les partisans de la liberté se mobilisent et proposent une nouvelle vision réaliste pour faire avancer le Québec.
Affirmons-le clairement : nous avons besoin d’un État moins lourd, moins interventionniste et moins centralisé à Ottawa ; mais aussi d’un État moins lourd, moins interventionniste et moins contrôlant à Québec.
Un nouveau chapitre de l’histoire du Québec s’écrit à partir d’aujourd’hui. Et ensemble, par la force de nos convictions, c’est nous qui en seront les principaux acteurs !
Merci !
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