En parallèle avec la procédure enclenchée par mon collègue Jim Flaherty à la Cour suprême, des audiences vont bientôt débuter à la Cour d’appel du Québec sur la constitutionalité du projet de loi de mon gouvernement visant à créer une commission nationale des valeurs mobilières. Après avoir lu le mémoire du gouvernement du Québec, j’ai décidé d’intervenir publiquement dans ce dossier. Le Devoir a publié ce matin mon article d’opinion sur le sujet (voir le texte ci-dessous). Comme le rappelle le journaliste qui signe un article sur le sujet dans le même quotidien, je connais bien ce dossier, ayant travaillé à la Commission québécoise des valeurs mobilières à la fin des années 1990 et participé à un groupe de travail sur le sujet. Les arguments que je défends dans l’article de ce matin étaient déjà contenus dans un discours que j’ai donné en 2004, dont le National Post avait fait état il y a plus d’un an (voir ce billet sur mon blogue, où l’on peut également consulter le discours de 2004). — 12 janvier 2011
Valeurs mobilières : Québec défend mal sa cause
Par Maxime Bernier – Député fédéral de Beauce et ex-directeur des relations corporatives et internationales pour la Commission des valeurs mobilières du Québec de 1997 à 2000
Le Devoir
12 janvier 2011
Cette année, la Cour suprême aura à statuer sur la constitutionalité d’un projet de loi visant la création d’une commission nationale des valeurs mobilières. En demandant aux juges de se prononcer, mon collègue Jim Flaherty, le ministre des Finances, veut s’assurer que cette initiative du gouvernement fédéral n’entraîne aucune ingérence dans les champs de compétence provinciale. Contrairement aux Parti libéral du Canada, qui n’a jamais hésité à empiéter sur les pouvoirs des provinces, notre gouvernement a dit qu’il respectera la Constitution.
Comme je l’ai déjà affirmé par le passé, je suis personnellement convaincu que le domaine des valeurs mobilières est de compétence provinciale. C’est ce que devrait conclure la Cour suprême en fonction de la jurisprudence et des éléments de preuves déposés devant elle – si les bons arguments lui sont présentés, il va de soi.
Or, j’ai analysé le mémoire du gouvernement du Québec présenté devant la Cour d’appel dans une cause similaire et je suis déçu et déconcerté par la faiblesse de celui-ci.
Le Québec s’appuie sur l’article 92 (13) de la Loi constitutionnelle de 1867, qui traite de « la propriété et les droits civils » , pour plaider que les valeurs mobilières sont de compétence provinciale. C’est un argument fondé et reconnu. Mais une fois qu’on a dit cela, on n’a pas dit grand-chose de pertinent.
En effet, même si elle a déjà accepté cet argument, la Cour suprême a précisé à deux reprises qu’elle pourrait changer d’idée si on lui démontre que le commerce des valeurs mobilières est maintenant non plus présumément de nature locale comme à l’époque pré-confédérative, mais de nature interprovinciale et même internationale.
C’est d’ailleurs ce que plaide le gouvernement fédéral pour justifier la constitutionalité de son projet de loi. Selon cet argument, la nouvelle réalité du commerce des valeurs mobilières fait en sorte qu’il s’agit maintenant d’un champ de compétence fédérale en vertu de l’article 91 (2) de la Loi constitutionnelle de 1867 traitant de « la règlementation du trafic et du commerce » .
Le plus déroutant est que le Québec dans son mémoire fait fi de l’avertissement de la Cour suprême. Il n’apporte aucune preuve historique démontrant que le commerce des valeurs mobilières était en fait déjà, à l’époque pré- confédérative, de nature interprovinciale et internationale et que cela était connu des Pères de la Confédération. Pourtant, cette preuve historique existe.
On constate que le commerce des valeurs mobilières constituait déjà une activité économique importante au Canada avant 1867. Le Board of Brokers a été créé en 1848. C’est la première association de courtiers à Montréal qui négocie des valeurs mobilières.
La lecture des lois pré-confédératives montre que ce commerce évoluait aussi, à l’époque, dans un contexte international. Plusieurs de ces lois contiennent des dispositions qui ont une portée extraterritoriale. Ce n’est certainement pas un hasard si elles prennent souvent soin de prévoir que les titres d’une compagnie pourront être émis et transférés à l’étranger et que les dividendes pourront y être versés. Dans certaines lois, on mentionne des villes comme Londres, Boston et New York, où les livres de souscription pouvaient être ouverts.
La mondialisation des marchés financiers n’est pas un phénomène nouveau. Une première phase de mondialisation a débuté vers 1820 et a pris fin en 1914 avec la Première Guerre mondiale. La seconde phase a commencé après la Seconde Guerre mondiale et se poursuit toujours.
Ainsi, à l’époque pré-confédérative, les marchés financiers internationaux étaient déjà fortement intégrés. Le réseau d’institutions financières établies à Londres a généré d’importants mouvements de capitaux à l’échelle de la planète, qui ont favorisé une croissance rapide des économies de certains pays comme l’Argentine, l’Australie et le Canada. Dans une large mesure, le développement des ressources naturelles chez nous s’est réalisé grâce aux capitaux étrangers.
Plusieurs études ont démontré l’importance de la mobilité des capitaux au 19e siècle. Ce qui a fait dire par exemple à l’ex-président de la Fed, Alan Greenspan que « le degré de mondialisation aujourd’hui n’est pas plus grand que celui qui prévalait il y a un siècle » .
Le mémoire du gouvernement du Québec, en plus d’ignorer ces faits, ne mentionne aucune des études historiques démontrant que les Pères de la Confédération connaissaient bien ce domaine.
En analysant la biographie des Pères de la Confédération, on se rend compte en effet que près des deux tiers avaient étudié en droit et près de la moitié appartenaient au monde du commerce. Trente des trente-six Pères s’intéressaient aux différents secteurs financiers soit à titre d’investisseur, de membre d’un conseil d’administration ou de procureur. À titre de législateurs, ils adoptaient les lois privées nécessaires pour constituer une compagnie à l’époque. Ils savaient que celles-ci avaient le droit d’émettre des actions et des obligations hors du Canada.
C’est donc en toute connaissance de cause qu’ils ont confié le secteur des valeurs mobilières aux provinces. Rien n’a fondamentalement changé depuis qui permettrait de transférer ce champ de compétence au gouvernement fédéral.
Dans son mémoire à la Cour d’appel, le procureur général du Québec ne réplique à son homologue fédéral sur aucun de ces points. Il ne présente aucun des arguments nécessaires pour gagner sa cause et risque ainsi de la perdre. Si cela s’avère, on ne pourra pas dire cette fois que le Québec aura été affaibli par un coup de force du gouvernement fédéral, puisque notre gouvernement aura tout fait pour respecter le processus constitutionnel. Il l’aura plutôt été de par sa propre faute.
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